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René Cruse, un insoumis dans la Cité sarde.

René Cruse à la terrasse du café de la gymnastique, à Carouge. © FK René Cruse à la terrasse du café de la gymnastique, à Carouge. © FK
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René Cruse à la terrasse du café de la gymnastique, à Carouge. © FK

A 95 ans, ce Bordelais d’origine mais Carougeois de cœur a traversé le XXe siècle par la grande porte et à travers toutes ses vicissitudes. Entretien avec un insoumis au grand coeur.
On le croise parfois dans les rues de Carouge, ou, fidèle au poste, au Café de la Gymnastique qu’il fréquente quotidiennement. René Cruse a près d’un siècle au compteur, antimilitariste, fervent opposé à la bombe atomique et écologiste enflammé, il a traversé toutes les horreurs et merveilles du XXe siècle. Né à Bordeaux en 1922, engagé volontaire dans l’armée de libération durant la deuxième guerre mondiale, il a passé les vingt-cinq années suivantes comme pasteur de l’Eglise réformée de France, avant qu’on ne le retienne à Genève. Entretien.

René Cruse, vous qui êtes né dans le Bordelais, comment se fait-il que vous ayez posé vos valises ici en Suisse ?

C’est l’amour qui m’a amené en Suisse ! Maryelle m’avait invité à une conférence sur la non-violence et nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. C’était il y a quarante-deux ans.
A lire votre page wikipedia, vous avez un passé assez extraordinaire. Vous avez enduré la deuxième guerre mondiale notamment.
Oui, tout jeune, j’ai été horrifié par l’occupation allemande et je me suis engagé volontairement dans le combat armé. J’ai traversé la guerre. Et comme j’aime à le dire, c’est un passé qui ne passe pas. Je m’en souviendrai toujours.

Comment en êtes-vous arrivé là ?

C’est une histoire étonnante. Mon père était un bourgeois bordelais très connu et un peu poète. Il était de droite, il avait même été nommé par Pétain comme adjoint au Maire de Bordeaux. Mais il a payé la résistance communiste pour aider deux de ses fils à passer en Algérie, via l’Espagne et le Maroc, afin de rejoindre les Forces françaises libres commandées par le général de Lattre de Tassigny et à faire le débarquement du midi en août 1944.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant la guerre ?

Une chose a travaillé dans mon subconscient très fortement. A la fin de la campagne de France, douloureuse, avec beaucoup de morts, je suis arrivé en Allemagne avec les chars d’assaut. Et dans un village, sur le bord du trottoir, il y avait un soldat allemand mort, tué probablement par une déflagration, car il était dénudé, son pantalon était arraché. Et il s’est passé quelque-chose dans ma tête. Le voyant, j’ai aussitôt pensé à sa mère en me disant qu’il y a vingt ans, elle langeait son merveilleux bébé. Cela m’a traumatisé. A partir de ce moment là, j’ai évolué vers l’anti-militarisme et le pacifisme.

Qu’avez-vous fait après la guerre ?

J’ai commencé des études de théologie. Je pensais qu’il fallait refaire le monde et l’Evangile était pour moi la seule manière de donner une impulsion au changement de société. Je suis donc devenu pasteur dans différentes paroisses de France et au Maroc. Pendant vingt-cinq ans, j’ai procédé aux
cultes du dimanche, aux enterrements, aux mariages, etc. je vous expliquerai ma mutation après.

Votre mutation ?

En 1963, toutes les églises catholiques, le pape Jean XXIII, le Conseil œcuménique des églises, bref, toues les institutions chrétiennes ont pris une position officielle contre la bombe atomique, mais cela ne les a pas empêché de voter pour de Gaulle qui justement fabriquait la bombe atomique. Cet écart entre le dire et le faire a été un traumatisme pour moi. Cela m’a vraiment dégoûté. La bombe A, pour moi, c’est le summum de l’horreur. Evidemment, je n’ai pas quitté le pastorat sur un coup de tête, mais petit à petit je me suis libéré de la foi. Je ne l’ai pas perdue, car ce n’est pas une valeur pour moi. Je m’en suis libéré avec beaucoup d’étude de théologiens et de philosophes. Dans ce domaine, celui qui m’a le plus marqué, c’est Camus. J’aimerais encore ajouter que mai 68 en France, pour moi, c’est quelque-chose d’ inoubliable. Il s’agit de la plus grande joie politique de ma vie. Mai 68 est dans mes neurones. Au boulevard Saint-Michel, j’ai connu Cohn-Bendit… Au final, j’ai eu une vie privilégiée en ce sens que j’ai rencontré des gens de qualité.

Croyez-vous toujours en Dieu ?

Non, plus du tout. Je me suis libéré de tous les dogmes. Je préfère les questions aux réponses sans questions.

Pas communiste non plus, donc ?

Non. Mais par contre j’ai été au PSU de Michel Rocard. Politiquement engagé.

Alors à quoi croyez-vous maintenant ?

A la réflexion philosophique qui ne doit jamais cesser. Je ne crois en rien, je préfère continuer à questionner et à étudier. Etudier jusqu’au bout.

Peut-on dire que vous avez toujours été de gauche ?

Avant et pendant la guerre, on flottait un peu. Mais de façon générale, oui, j’ai toujours voté à gauche.

Votez-vous en Suisse ?

Non, je suis Français et je vote en France, avec les Verts où sont engagés mes fils. Je ne peux pas voter en Suisse, sauf au niveau municipal.
Vous avez été président des Jardins de Cocagne, militant au groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) et avez participé à de nombreuses manifestations, que cela vous a-t-il apporté ?
Oui, je me suis beaucoup investi ici à Genève. Avec le GssA, j’ai fait beaucoup de manifestations contre les guerres : Golfe, Irak, Afghanistan.. Cela me manque beaucoup aujourd’hui de ne plus manifester, mais je ne peux plus me déplacer. Et je peux vous dire que dans les années 80-90, il y avait beaucoup de mouvements sociaux, par ici. Ah, ces grandes manifestations du Cartel intersyndical ! Je me suis engagé dans le Groupe SIDA pour accompagner des malades. J’ai également beaucoup écrit de lettres de lecteurs dans le Courrier, la Tribune de Genève et dans Le Monde.
D’ailleurs, je suis un des plus anciens abonnés au Monde, journal de référence. Et puis il y a eu les mouvements féministes, ça a été une révélation.

Comment donc ?

Maryelle, qui était alors au MLF, m’a fait découvrir le féminisme. Dès qu’on a été ensemble, elle m’a fait lire « Le deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir et m’a sensibilisé à ses combats. J’ai aussi été concrètement un père au foyer.

Ne vous sentez-vous pas un peu comme un exilé bordelais, ici ?

Non, j’ai quitté Bordeaux quand j’étais tout jeune à une époque où Bordeaux se prenait pour le nombril du monde. J’aime la dimension internationale de Genève, où j’ai suivi des études à l’Institut universitaire du développement.

Comment notre monde évolue-t-il, à votre avis ?

Actuellement, pour moi, la plus grande affaire de toutes, c’est notre planète. Le respect des accords pris à la conférence de Paris en 2015 m’importe plus que tout, car réellement on détruit notre planète, et cela, c’est intolérable. Et la sur-consommation, le gaspillage… Par exemple, quand je commande un plat de pâtes au restaurant, on me sert une cuvette, c’est beaucoup trop !
Bref, je suis toujours politiquement en colère !

Voir www. Atelier-luca.de / Webdocumentaire René Cruse : Tranche de vie- vie tranchée, 2011
Biographie : Manon Widmer : René Cruse, homme de parole, Slatkine, 2013

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Journaliste RP, fasciné par le tissu local genevois, ses petites histoires et sa fascinante diversité,  je participe avec l’équipe des Reporters de quartier à la réalisation de Signé Genève sur le site et dans le journal.

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