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Gènes et vestiges racontent une histoire africaine de 300’000 ans

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L’aventure d’Homo sapiens sur Terre débute en Afrique il y a probablement 300’000 ans. Depuis, l’humain n’a cessé de se déplacer, de se multiplier, de se diversifier et de s’adapter au gré des innovations, des changements de mode de vie et des variations du climat. L’exposition «Afrique: 300’000 ans de diversité humaine», qui se tient à Uni Carl Vogt du 13 juin au 6 septembre, raconte cette longue histoire. Une épopée complexe que les efforts conjoints des généticiens, des paléontologues et des archéologues de l’Unité d’anthropologie de l’Université de Genève ont permis de retracer. Entretien avec Alicia Sanchez-Mazas, professeure responsable de l’Unité d’anthropologie (Faculté des sciences) et principale organisatrice de l’événement.

Pourquoi une exposition sur l’Afrique?
Ce continent est souvent perçu comme monolithique et homogène. On ignore qu’on y parle des milliers de langues différentes ou que la diversité génétique humaine y est plus importante que nulle part ailleurs. À l’Unité d’anthropologie, nous disposons à la fois d’archéologues, qui cherchent les témoins du passé sur le terrain, et de biologistes, qui étudient la génétique des populations actuelles et disparues. Les deux se complètent pour répondre à la question scientifique qui nous préoccupe, à savoir celle de l’histoire du peuplement et de la diversité humaine en Afrique, le continent où notre espèce a tout de même passé la plus grande partie de son histoire. Cette exposition présente les fruits de ces travaux, par ailleurs soutenus par le Fonds national de la recherche scientifique.

Qu’est-ce que la génétique des populations?
Cette discipline s’intéresse à des petites variations qui apparaissent dans les génomes de tous les êtres vivants, en l’occurrence les humains. Ce sont des mutations dites «neutres», car elles ne sont pas défavorables à la survie ou à la reproduction des individus. Elles apparaissent spontanément et se transmettent de génération en génération. Pour chaque population, on identifie ces mutations et leur fréquence. Cela nous donne un profil génétique que l’on peut ensuite comparer à celui d’autres populations, proches ou lointaines.

Quelles informations en tirez-vous?
Plusieurs événements peuvent avoir un impact sur cette diversité génétique. Un accroissement démographique, par exemple, augmente la probabilité que surviennent de nouvelles mutations au sein d’une population. Un groupe humain formé il y a longtemps en accumule davantage qu’un autre plus récent. Et bien sûr, les échanges entre groupes humains apportent aussi de nouveaux variants (mutations d’un gène). L’étude des génomes, non pas pris individuellement mais comme des échantillons représentatifs d’une population entière, nous permet donc d’identifier si de tels événements se sont produits dans le passé. Et les sites archéologiques – que l’on peut dater – nous fournissent les marqueurs temporels indispensables pour confirmer ou infirmer nos scénarios.

Votre exposition commence à 300’000 ans avant le présent. Pourquoi?
C’est la date des plus anciens fossiles attribués à Homo sapiens et découverts au Maroc, à Djebel Irhoud, un site préhistorique à 400 km au sud de Rabat. Une nouvelle datation réalisée en 2017 recule de 100’000 ans la date jusque-là admise de la première diffusion des humains modernes sur le continent africain.

Tous les indices convergent vers une origine africaine de notre espèce. Est-ce le cas aussi pour la génétique?
Les populations africaines présentent en effet la plus grande diversité génétique au monde. Il existe plus de différences génétiques entre deux individus pris au hasard sur ce continent qu’entre deux autres choisis en Europe ou en Asie. Cela s’explique par le fait que les humains ont passé beaucoup de temps en Afrique avant de quitter le continent. Ils ont eu le temps (sans doute plusieurs dizaines de milliers d’années) d’accumuler une grande diversité génétique. Les petits groupes qui sont ensuite sortis d’Afrique (ce qui s’est produit il y a au moins 100’000 ans) n’ont à chaque fois emporté avec eux qu’un petit échantillon des variants génétiques à disposition, perdant une grande part de diversité à cause de cet effet dit «fondateur».

Quel autre événement peut-on lire dans les génomes des Africains?
Il y a 20’000 ans environ, l’hémisphère Nord vit le plus fort de la dernière ère glaciaire. Cela se traduit par une baisse générale du niveau des mers et, dans l’hémisphère Sud, par un assèchement du climat. Les déserts du Sahara et du Kalahari connaissent une extension et une aridité maximales. Les populations humaines d’Afrique sont alors obligées de se retirer dans des refuges séparés les uns des autres par des étendues inhospitalières. Cet événement entraîne une structuration des populations du point de vue génétique. On voit apparaître de grands regroupements qui se différencient petit à petit les uns des autres. Ce qui est fascinant, c’est que l’on a pu corréler cette situation avec des différences linguistiques.

Langues et génomes auraient-ils évolué de pair?
Les quelque 2000 langues parlées en Afrique (soit près du tiers des idiomes en usage dans le monde) se regroupent en quatre grandes familles (Afro-asiatique, Niger-Congo, Nilo-saharien et Khoïsan). Et entre cette structure linguistique et la structure génétique, on observe en effet des corrélations assez importantes. Ce qui nous fait dire qu’à un moment du passé il y a eu une histoire commune entre les gènes et les langues.

Quand cette période de «structuration» prend-elle fin?
Vers 10’000 avant le présent, le Sahara connaît une période plus verdoyante avec l’apparition de lacs et de cours d’eau. Les fouilles montrent que les populations réoccupent ces vastes espaces. Des groupes autrefois éloignés entrent donc de nouveau en contact. La génétique des populations permet de mesurer cet épisode, parce qu’on trouve des profils génétiques plus hétérogènes notamment dans les régions où les groupes humains se sont mélangés.

Est-ce que l’agriculture a aussi laissé des traces dans le génome humain?
L’arrivée de l’agriculture entraîne la plupart du temps une sédentarisation suivie d’une expansion démographique assez importante dans certaines régions et cela laisse effectivement des traces dans les génomes des populations concernées. De plus, on voit apparaître, entre autres, dans le génome, des adaptations à de nouveaux modes d’alimentation. Chez les éleveurs, par exemple, on observe une plus grande fréquence de mutations touchant la lactase. Généralement, cette enzyme cesse d’être produite à l’âge adulte rendant progressivement impossible la digestion du lait (du sucre lactose, plus précisément). Chez les pasteurs, qui consomment les produits laitiers de leurs troupeaux, l’apparition fortuite d’une mutation permettant à la lactase d’être produite et de fonctionner toute la vie offre un avantage sélectif. Il en résulte une propagation assez rapide du nouveau trait génétique. Résultat: cette mutation est beaucoup plus fréquente dans les populations pastorales que dans les autres, basées sur l’agriculture.

Paru dans «Le Journal de l’UNIGE», 30 mai 2019

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