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A travers Thibault, 30 ans, portrait de la « Génération Y »

A travers Thibault, 30 ans, portrait de la « Génération Y »

Thibault a 35 ans et des poussières. Né à Genève aux portes des années quatre-vingt, il fait partie de ce que certains sociologues de la jeunesse nomment « la génération Y », ou « digital natives ». Exigeante, incapable de supporter la moindre frustration et avide de jouissance facile, voici comment cette tranche d’âge qui a vu le jour entre 1980 et 1995 est décrite, voire décriée. Rencontre avec l’un de ses « représentants » afin de vérifier – ou pas – certains clichés qui ont la vie dure.

C’est en plein pendant le festival du « Black movie », mi-janvier, que je fais la connaissance de Thibault, autour d’un café, son iPhone posé non loin. Avenant et discret, il va se confier avec pudeur et prudence, avant de s’ouvrir, une fois la confiance installée entre nous. Lui expliquant le but de mon article, Thibault se montre surpris, puis me répond l’air sceptique: « J’ai passé le cap des 30 ans sans me poser de questions ! Je n’ai pas changé grand-chose en arrivant dans la trentaine (…) Je dois avouer que je ne me suis pas questionné plus que ça sur la symbolique de ce passage (…) ». Le jeune homme me raconte sortir « presque comme avant » et fréquenter par ce biais « les mêmes potes qu’au temps du collège », à quelques variations près. « Mes relations amicales sont moins nombreuses peut-être maintenant mais elles gagnent en intensité » dit-il, réfléchissant à haute voix. Pas de bilan plus poussé aux portes de cette nouvelle décennie ? Et quid de l’engagement amoureux et professionnel ? Balayant mes questions d’un revers de main, il fixe ses yeux dans les miens et me lance : « D’abord je te raconte mon parcours et après on verra ! ». Crayon en main, je vais tenter de suivre Thibault dans les méandres de sa jeune existence. L’objectif étant bien de saisir la « substantifique moelle » de cette génération. Prêt ?

Après avoir terminé sa scolarité post-obligatoire, ce grand garçon brun se cherche et finit par trouver une piste en partant faire une année sabbatique aux USA. Il a alors 20 ans et « la vie devant lui » comme on dit. A son retour, ses questions concernant l’avenir ne se sont pas taries et il s’engage alors comme civiliste puis fera un court séjour à l’armée. « Durant l’été, je bossais comme facteur aux SIG, histoire de me faire quelques sous ».  Détail croustillant : il rencontre en 2001 celle qui va devenir par la suite sa copine et mère de sa petite fille  « lors d’une soirée d’étudiants ». La jeune femme travaille déjà et a son propre appartement, « ce qui m’arrangeais bien à l’époque je dois dire parce que moi j’ai squatté chez mes parents jusqu’à 26 ans » me dit-il, s’en excusant presque. Je lui souris, sa génération est la mienne, du coup entre les difficultés d’insertion sur le marché de l’emploi et les logements inaccessibles, je ne peux que compatir. Le courant passe bien entre nous, c’est peut-être l’un des traits de cette « communauté » des Y.

« C’est un peu par hasard que je me suis retrouvé à faire de la psychologie à l’université », poursuit Thibault en évoquant ses études supérieures, entamées à l’âge de 21 ans. Pour une génération qu’on dit fuir l’introspection, il casse là un des clichés les plus tenaces. « J’ai plus fait l’uni pour faire comme certains potes, c’est une sorte d’effet de groupe peut-être (…) mais je n’étais pas convaincu à cent pour cent à l’époque ». Peu sûr de son choix, le jeune homme obtient quand même une licence qui lui ouvre un champ très vaste, allant de la psychologie clinique à l’orientation scolaire en passant par les sciences expérimentales. Au vu des nombreuses possibilités, Thibault m’avoue s’être senti perdu et ne pas avoir voulu s’engager « dans une branche ou l’autre parce que, à part la connaître un peu théoriquement, je n’avais aucune idée de ce que ça donnerait sur le terrain et si ça pouvait me plaire au final ». Génération indécise ? Certes, mais trop de choix finit par tuer l’envie de s’engager de peur de se tromper et de passer à côté de LA voie idéale qui permet de révéler son potentiel. Et être abreuvé aux journaux de développement personnel n’aide pas, loin de là.

Après quelques mois de chômage, Thibault va se retrouver en stage dans un service de psychologie étatique pour une année et demi, payé au lance-pierre. Il tient le choc, à 27 ans, ayant emménagé avec son amie qui peut financer leur quotidien. « A 30 ans, j’ai obtenu un job fixe (…) je sais, c’est tard pour commencer sa vie active ! Et maintenant j’ai une sorte de pression à réussir (…) il faut être ambitieux quoi ! ». Rassuré par une paie qui arrive tous les mois sur son compte, il a pu enfin penser à la suite : « C’est vrai que quand j’y réfléchis maintenant, vers 30 ans, en voyant mes potes se caser gentiment et faire des enfants, ben c’est quelque chose vers quoi tu tends aussi (…) ». Véritable souhait ou envie de « faire comme les autres » pour ne pas être à la traîne ? Cette interrogation lancinante ne va pas me quitter pendant tout l’entretien. Faudrait-il correspondre à une norme dictée par la société, même si cela ne cadre pas à ce que l’on sent vraiment ? Le jeune homme évoque rapidement le fait « d’entrer dans un moule », l’air presque fataliste. « Maintenant, c’est plus la famille qui prime et puis j’ai perdu de ma fougue, je suis genre un fatigué chronique (…) ». Titillée par un discours trop conventionnel, je le pique au vif en l’interpellant sur sa relation amoureuse : « Ah ouais, c’est compliqué le couple (…) on est moins fusionnel qu’avant et comme on a vu nos parents divorcés, on n’a pas de modèle mais ce que j’ai appris c’est que le couple tout seul, ça suffit pas ! ». Il mentionne en vrac l’importance de l’écoute du partenaire – « c’est quelque chose qui doit se travailler dans le temps » -, la qualité du temps passé ensemble et la place prise par l’enfant. « Il y a un rythme qui s’installe avec le travail et quand tu as un enfant en bas âge (…) c’est peut-être ça la routine (…) ».

Me confiant qu’il repense souvent à ses 20 ans, Thibault exprime finalement quand même une certaine satisfaction à avoir atteint le palier de la trentaine. « J’ai commencé une psychanalyse parce que j’étais curieux de comprendre comment je fonctionnais et pour abaisser un peu mes idéaux irréalistes qui me rendaient malheureux » me glisse-t-il entre deux gorgées. Durant ces deux heures d’entretien, cet homme me parlera encore de virilité, de fidélité – envers lui-même avant tout – et de liberté. « J’ai envie d’explorer le monde, celui qui est loin et ce qui m’entoure tout proche, de faire de nouvelles connaissances (…) de ne plus passer trop de temps à me concentrer sur une seule chose mais à être plutôt dans le lien avec d’autres (…) ». Et d’ici 2025, quels projets ? « Je serai surfeur aux Philippines ! », me dit-il en éclatant de rire. « Non mais, blague à part, dites aux jeunes qui ont 20 ans aujourd’hui de s’éclater un max parce que moi je regrette quand même cette période pour être sincère (…) ». Alors être adulte, est-ce renoncer à ses rêves d’enfant ? Non, ce sont les transformer, pour les intégrer à la réalité. Et si cela a un prix, cela permet aussi de découvrir des contrées inespérées…

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Parallèlement à des études en anthropologie clinique, j'ai toujours apprécié écrire et décrire mes expériences à l'aide des mots. Lectrice assidue d'un peu près tout ce qui me tombe sous la main, j'aime aussi rencontrer les gens et apprendre à travers ce qu'ils me racontent de leur vie. Actuellement psychologue à l'hôpital, je prends le temps de voyager et de me faire une culture cinématographique éclectique!

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