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Chauffeur de taxi la nuit, un métier compliqué

Chauffeur de taxi la nuit, un métier compliqué

Luis* travaille dans l’horlogerie. Mais une à deux nuits par semaine, il devient chauffeur de taxi avec pour mission de ramener les Genevois chez eux. Il nous raconte comment il s’est lancé dans cette aventure.

Luis a la cinquantaine. D’origine espagnole, il est marié et père de deux garçons. Son histoire avec les taxis démarre en 1993. Alors qu’il est employé dans un magasin de meubles, il décide de passer son permis de chauffeur de taxi. Juste avant de se lancer professionnellement, un ami l’informe qu’une entreprise horlogère de la place recrute. Il hésite. Si les chauffeurs gagnent très bien leur vie à ce moment-là, Luis n’est pas sûr de vouloir en faire sa profession. Il opte finalement pour l’horlogerie.

En 2011, l’envie le reprend. Avec beaucoup d’appréhension, il décide de travailler le week-end pour se remettre en selle. Grâce à ses nouveaux collègues et surtout au GPS, il trouve petit à petit ses repères.

« Rentre à la maison, ton permis n’est plus valable »

Un jour, alors qu’il attend à l’aéroport, il rencontre un ami avec qui il avait suivi le cours de chauffeur 18 ans plus tôt. Il s’avère que son permis n’est plus valable. Un seul conseil : « Rentre à la maison parce que si tu te fais contrôler par la police, tu vas avoir de gros ennuis ». Effectivement, un permis de chauffeur de taxi devient caduc si son propriétaire n’a pas conduit de manière professionnelle pendant plus de six mois. Alors 18 ans…

La nouvelle digérée, il recommence les démarches. Extrait du casier judiciaire, contrôle médical, le dossier doit être complet. La formation se monte à CHF 6’800.- auxquels il faut ajouter les frais d’examens, les coûts administratifs. En tout, ce sont CHF 8’000.- que Luis investit pour retrouver son permis. Mais également beaucoup de temps. La formation de 480 heures se répartit sur cinq mois. Règlements, topographie du canton, notion d’anglais, Luis s’applique et réussit à nouveau l’examen. Ne lui reste plus qu’à s’inscrire à l’office cantonal compétent. Comme il ne s’agit que d’arrondir ses fins de mois, il trouve un taxi à bonbonne jaune qu’il peut louer une à deux nuits le week-end. Son objectif est d’acheter sa propre bonbonne jaune, dans quatre ou cinq ans. A ce moment-là, il aura pris sa retraite dans le domaine horloger et pourra travailler en fonction de ses besoins.

Les bonbonnes bleues, des vautours

A Genève, les taxis se différencient par leur « bonbonne », l’enseigne lumineuse placée sur le toit du véhicule. Les jaunes et les bleues n’ont pas les mêmes droits. Les premières peuvent stationner devant la gare, chercher des clients à l’aéroport, ce qui est formellement interdit aux deuxièmes. Les bonbonnes jaunes sont limitées en nombre. La liste d’attente pour leur obtention est de minimum cinq ans et coûte plusieurs dizaines de milliers de francs.

Dans la réalité, les taxis « bleus » utilisent les lignes de bus, maraudent à la recherche de clients. « Ce n’est pas normal mais s’ils ne le font pas, ils ne peuvent pas vivre », reconnaît Luis. Ils ont une centrale d’appel à eux, travaillent avec les hôtels mais tout cela reste insuffisant. Si une bonbonne bleue vient à lui piquer un client ? Luis philosophe : « Moi, j’accepte parce que les taxis bleus ont autant le droit de vivre et de travailler que moi. Mais … quand ils piquent notre boulot, on a envie de klaxonner, de leur dire de dégager ! ».

« Pour un voyou le jour, vous allez en trouver dix la nuit »

Luis ne travaille que de nuit. Une clientèle différente de celle de jour. «Pour un voyou le jour, vous allez en trouver dix la nuit», confie le chauffeur. La plupart du temps, les gens sont ivres. Il faut savoir garder son calme. L’idée générale veut que les chauffeurs fassent le tour de la ville au lieu d’utiliser le chemin le plus direct. «Nous aussi ça nous fait mal de facturer trop cher aux clients, poursuit Luis. On contourne, ce qui augmente les kilomètres mais en temps, c’est plus rapide. Il faut constamment se justifier ».

En ne conduisant qu’une à deux nuits par semaine, Luis est déjà éprouvé. Il comprend que ses collègues qui travaillent à temps plein soient stressés et se sentent toujours sous pression. La difficulté réside dans le contact à la clientèle. Si le courant passe parfois très bien, la majorité des clients de nuits posent des problèmes de comportements. «Des fois, ils nous demandent de nous arrêter au Postomat pour retirer de l’argent. Ils nous regardent une fois, deux fois et commencent à courir. Tout ça pour 30 balles!». Le chauffeur estime qu’une solution peut toujours être trouvée en discutant. Le pire, «ce n’est pas l’argent, c’est le mal qu’ils nous font, le geste».

Le plus pesant: les heures d’attente et les risques d’agression

Aucune base de salaire n’est garantie. Le revenu dépend exclusivement des sorties et varie en fonction des saisons. La course idéale, c’est Lausanne ou Zürich. Ça arrive une fois par année. Une nuit, c’est CHF 700 à 800.- de revenu brut. Il faut y soustraire la location du taxi, l’essence et les taxes pour un montant de CHF 450 à 500.-. Ce qui est pesant, ce sont les heures d’attentes, de passer la nuit dehors et surtout les risques d’agression. «Si j’avais un autre boulot le week-end, je ne ferais pas taxi», avoue Luis. Les jeunes qui se lancent ne tiennent généralement pas longtemps. Ils se fâchent plus rapidement, ont moins de patience. D’après Luis, il faut avoir au moins 50 ans, du recul et beaucoup de patience. «Je le fais parce que je sais ce que ça me rapporte au final. Et ce n’est qu’un appoint».

* Nom d’emprunt

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4 commentaires

  1. Merci beaucoup pour cet article. Je ne prends pas souvent les taxis, mais il y en a une réputation un peu spéciale, probablement à cause des films. Néanmoins, les taxis sont bien utiles pour ceux qui sont sans voiture.
    Pierre | taxicoopstefoysillery.com

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  2. Le contenu de cet article m’interpelle…

    Il est mentionné qu’en 1993, les chauffeurs « gagnent très bien leur vie à ce moment-là », en 2014 le chauffeur dit gagner entre 700 et 800 CHF par jour, on gagnait 1000 à 1300 CHF par jour en faisant le taxi en 1993 ?

    Les conditions de travail sont très mauvaises : « Voyous, Vautours (taxis bleus), heures d’attentes, risques d’agression… ».
    Sachant que malgré toutes ces contraintes, une nuit de travail rapport entre 700 à 800 CHF et qu’il est mentionné environs 35 % de charges, si l’on extrapole 22 jours de travail par semaine (450 X 22) = 9990 CHF net par mois .

    Donc un chauffeur de taxi gagne mieux qu’un avocat ou médecin standard… cet article est en complète contradiction avec la position officielle de la profession, qui ment ? Faut-il se plaindre de son métier si l’article dit juste ?

    Je m’interpelle… merci de m’éclairer…

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  3. Il y a quelque chose qui cloche entre « ce qui est pesant, ce sont les heures d’attente » et « une nuit, c’est CHF 700 à 800.- de revenu brut ».

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  4. Courage à eux, des comportements de gens en ville à certaines heures sont lourds, alors quand ils interceptent un taxi, le chauffeur doit subir jusqu’au bout.

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