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« De la cité de Calvin aux faubourgs de Sao Paulo »

« De la cité de Calvin aux faubourgs de Sao Paulo »

En guise d’introduction…

Son regard bleu foncé m’évoque la dureté de l’acier bien aiguisé, travaillé au corps, « lissé » à souhait. Difficile de dire ce qu’il se passe dans la tête d’Angélique, menue jeune femme née à Genève, il y a presque trente ans. Je pressens furtivement, pourtant, les éclats de ce qu’elle a dû voir, vivre, traverser durant ces trois ans passés au Brésil – après un Master en HEID à Genève -, en compagnie d’enfants et d’adolescents, au sein d’une organisation visant à promouvoir la défense des droits des enfants et des adolescents. Néanmoins, Angélique va retrouver sa verve légendaire quand il s’agira de raconter et d’expliciter ce qui a fait la force et la beauté de ce séjour en Amérique latine. C’est sous forme de « points forts » – points qui sont essentiels dans le cours de la narration de la demoiselle – que je vais vous raconter son incroyable histoire, loin, très loin du « charity business » qui ne fait que renforcer l’image négative que l’on peut se faire d’une certaine catégorie de la population . Loin, très loin également du pseudo-voyage initiatique mené par de jeunes adultes en quête de signes ordaliques dans un monde décidément bien désacralisés, où le Graal réside désormais dans une soi-disant maitrise de l’espace, au détriment d’une temporalité vécue comme trop frustrante. Que ceux qui penseraient sauter dans un avion pour se dépayser à peu de frais en prennent pour leur grade : à l’ère du capitalisme ludique et expérientiel , la sincérité d’un véritable engagement ne peut se cacher dans les « fringues » de la superficialité. A bon entendeur.

Si on commençait par la fin…

« Je ne fais pas de l’humanitaire, ce n’est pas ça du tout ! » s’exclame-t-elle quand je lui tends la perche. « C’est un engagement sur le long terme qui a pour but de renforcer l’organisation. L’objectif de ce type de mandat est qu’ensuite les responsabilités soient assumées par des acteurs locaux. C’est une question d’échange professionnel et humain! « Â» souligne-t-elle avec vigueur. L’idée est donc de travailler en coopération avec les gens, là-bas, en étant engagé en tant que « renfort » au sein d’une équipe existant déjà. Ainsi, il est plus question de s’intégrer au sein d’une dynamique en marche que de révolutionner le monde depuis son lopin de terre. Qu’on se le tienne pour dit ! Terminés les vrombissements révolutionnaires made in seventies ; aujourd’hui l’action se veut plus discrète, plus pragmatique aussi, quitte à donner le sentiment de ne pas avancer aussi vite que souhaité. « L’imaginaire collectif se complait dans la vision d’un humanitaire qui viendrait apporter des solutions toutes cuites si j’ose le terme, ce qui va à l’envers de notre manière d’être à l’heure actuelle » poursuit Angélique fermement. La jeune femme a du caractère, et ça se sent. Rentrée au printemps 2014, elle estime avoir rempli ses missions – tant sur le terrain qu’en ce qui concerne la charge administrative inhérente au contrat qu’elle avait – et se dit sereine en attendant l’entretien final qu’elle aura avec l’organisme l’ayant engagée, à la fin de la période estivale.

Voyage au bout de soi-même, et bien plus encore…

Partir vivre au bout du monde – ou presque ! – est une aventure qui demande de pouvoir se laisser imprégner, voire envahir, à certains moments de son parcours. En effet, il faut à l’apprenti baroudeur s’accommoder en un temps très restreint d’une culture nouvelle, de codes et normes parfois déroutants et de personnes dont on ne comprend pas l’idiome, malgré un langage corporel universel. « J’ai appris à m’adapter, mais il y a eu des moments très durs (…) On est loin de sa famille, de ses amis, de ses ancrages habituels (…) certains craquent c’est sûr ! » évoque Angélique, à demi-mots. Comment métaboliser toutes ces rencontres, le visage de ses collègues bien sûr mais aussi des nombreux jeunes dont elle s’est approchée via diverses médiations ? Elle se le demande encore, me donnant le sentiment d’une digestion qui est bien partie pour durer… Derrière le Brésil, pays souvent vendu sur carte postale – plages de sable fin à perte de vue, Carnaval et femmes aux jambes affriolantes -, c’est un univers plus sombre que notre globe-trotteuse découvre : « À cause des méga événements (coupe du Monde et Jeux Olympiques), dès 2011, la police a commencé à nettoyer -socialement- les rues pour que ça soit joli pour les touristes: c’est à dire qu’ils embarquaient adultes et enfants – dépendants aux substances chimiques en général – pour les mettre dans des centres terribles qui ne prenaient pas du tout soin d’eux. Ce n’est que grâce au lobbying des entités de défense des droits humains, dont notre organisation, que la situation a changé. Mais le gouvernement commence toujours par faire éthiquement faux, c’est fou! » s’exclame-t-elle, retroussant ses manches. S’engager corps et âme, tel est le credo que je perçois à travers ses paroles. Travailler, et encore travailler. Connaître le terrain, comprendre quels sont ses ressorts et enjeux, pour tenter d’y implanter des projets non déconnectés de la réalité quotidienne des populations. J’émets à voix haute l’idée d’une certaine vibration constante – et d’une foi sans faille concernant les projets mis en place – qui permet de « tenir » face à des situations dont le terme « pauvreté » n’est que le paravent. Angélique acquiesce, mais emportera le secret de son véritable ressenti avec elle, me laissant pensive. Il y a des choses qu’on ne partage pas, mieux vaut les vivre dans sa chaire pour en saisir la teneur me dirai-je.

Les pensées de / pour Pascal…

C’est au cours de l’été 2012, lors de la rencontre annuelle des volontaires suisses engagés au Brésil qu’Angélique fait la connaissance d’un jeune ingénieur agronome suisse, à peine plus âgé qu’elle, et étant actif à quelques milliers de kilomètres de Sao Paulo. Rencontre lumineuse me fait-elle comprendre. Rencontre qui risque de changer sa vie en tout cas, peut-être même au-delà de ses espérances, mais de cela rien ne filtre, pudeur oblige. C’est donc à distance que leur amour grandira, sans faire l’impasse sur les différents remous inhérents à une telle « entreprise ». Au gré de ces deux ans passés ensemble – par intermittence du moins -, ils vont apprendre à tisser leurs sentiments dans une composition bien à eux, entre retrouvailles dans ce grand pays qu’est le Brésil et via les moyens technologiques modernes, qui pour tout désincarnés qu’ils soient, permettent quand même un certain partage, un soutien qui peut s’avérer vital par moment. De retour en Suisse, le jeune couple cherche à s’installer ensemble, évoquant déjà un futur voyage « avec nos enfants », même si cela reste confiné dans le domaine de l’agréable rêverie pour l’instant. Angélique mentionne, en passant, qu’elle ne serait pas contre un travail de Doctorat non plus, mais cela relève d’un champ qui dépasse mon propos actuellement.

Révolution intérieure

Arrivée au terme de notre entrevue, je me perdrais presque dans les yeux d’Angélique, voulant savoir ce que ce voyage lui a permis de comprendre d’elle-même, des autres et du monde qui nous entoure. Mais je garderai cette petite obsession pour moi ! Elle enchaîne, me parlant de ses amies proches, me racontant les aventures de vie auxquelles ces dernières ont été confrontées ces trois dernières années. Naissances, mariages et réussites professionnelles des uns et des autres émaillent son discours où elle se montre toujours sincèrement heureuse pour ceux à qui cela arrive. Avec un brin de nostalgie, elle évoque l’obtention de sa Maturité il y a dix ans, le chemin parcouru depuis. Au fond, elle me donne à comprendre que, peu importe le lieu, c’est le décor – personnages compris – dans lequel se déroule notre vie qui compte. C’est ce même décor qui nous forgera, tout comme nous pouvons aussi le façonner, y laisser une empreinte, une trace, rêve enfouie de l’Humanité depuis la nuit des temps. « Ma formation se poursuit et ne s’arrêtera jamais » termine-t-elle, calme et convaincue. Finalement, peu importe ce qui nous arrive au fil de nos pérégrinations, seul compte ce que l’on en fait. Et Angélique nous en livre une belle preuve… To be continued.

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Parallèlement à des études en anthropologie clinique, j'ai toujours apprécié écrire et décrire mes expériences à l'aide des mots. Lectrice assidue d'un peu près tout ce qui me tombe sous la main, j'aime aussi rencontrer les gens et apprendre à travers ce qu'ils me racontent de leur vie. Actuellement psychologue à l'hôpital, je prends le temps de voyager et de me faire une culture cinématographique éclectique!

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