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Genève autrefois

Le tram vert. ©Olga Eyben
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Le tram vert. ©Olga Eyben

La Jonction autrefois….. Autrefois la Jonction….

Etant étudiante, je logeais à la Jonction. Entre 2 ponts, entre 2 eaux, au bord de l’Arve, au bord de l’eau. Mon immeuble était le dernier avant la tumultueuse rivière qui malgré ses 20km de long faisait beaucoup parler d’elle: tantôt elle menaçait de sortir de son lit et d’inonder le quartier, tantôt son fond vaseux devenait sec d’une façon inquiétante! Que de caprices! Depuis mon balcon, je pouvais apercevoir un des 2 ponts. L’autre qui s’élançait par-dessus le Rhône était à droite, derrière le coin.

C’était un chouette quartier. Même Vladimir Lénine, à un certain moment, y avait élu domicile, à deux pas de chez moi. Par endroits, il y avait un terrain vague, chiens et chats y couraient librement le long de l’eau en voisins. Se promenant le long de l’Arve dont les berges seront aménagées bien plus tard, un sentiment de solitude vous envahissait. La nature y avait tous ses droits, elle n’était pas négligée, non, elle était tout simplement libre, sans contrainte. Les branches des arbres trempaient dans l’eau, les oiseaux chantaient, picoraient, volaient. La nature y était presque sauvage.

Dans «Le Dictionnaire amoureux de la Suisse», Metin Arditi écrit en parlant des différents quartiers de Genève :
«Le quartier de la Jonction est le plus romantique. Il dégage une atmosphère laborieuse et paisible».

Un peu plus loin, là où l’Arve rejoint sa Majesté le Rhône, l’endroit devient magique…

Après mes cours à l’Université, j’allais souvent m’y promener et parfois m’asseoir sur une pierre au bord de l’eau, faute de bancs. Je lisais, rêvais, l’endroit s’y prêtait à merveille.
Jadis Genève était plus petite. Au delà de l’Arve, il n’y avait plus rien. Nous étions à la limite de la ville. Elle terminait là où coulait la rivière, sa frontière.

Je n’avais pas encore saisi que la Jonction avait beaucoup de personnalité! C’est avec une certaine fierté qu’elle représentait ce quartier populaire, typique et industrieux! Il y avait des imprimeries, des marbreries et des ateliers de mécanique le long du Rhône.

Le fleuve y coulait déjà paisiblement comme il le fera par la suite.

Les Supermarchés n’existaient pas encore. Les magasins du quartier étaient tenus par de modestes commerçants. Au Bd St Georges, il y avait de nombreux commerces qui rendaient vivantes ces rues pittoresques et populaires. Il y avait le boucher, l’épicier, l’horloger, le cordonnier, le bijoutier. J’aimais beaucoup m’attarder devant la vitrine de ce dernier. Il y avait aussi le magasin de la presse et des journaux, sans oublier le coiffeur, le tailleur et le fleuriste tenu par une femme…
Ces commerces étaient particuliers: les habitants du quartier étaient des Espagnols ou des Hispanophones venus d’Amérique du Sud. Tous les commerçants parlaient la langue de Cervantes. Elle était parlée partout: dans les magasins, dans les rues, au bord de l’Arve.
Arrivant moi-même d’un de ces pays-là, cette particularité linguistique du quartier me convenait parfaitement car mon français laissait à désirer. Me trouvant à la Jonction, j’avais l’impression d’être revenue en arrière. Je n’étais pas dépaysée, c’était chez moi. J’étais tout simplement devenue «la Senorita del 27» de la rue des 2 Ponts à un endroit privilégié…au-dessus de la pâtisserie!
Le quartier était plein de vie. Au loin on entendait les castagnettes suivies d’un «Olé» accompagné de musique espagnole…Les gens riaient, dansaient, chantaient…Le soir, le vin rouge remplissait les verres. On entendait partout, « ?Hola, hola, que tal, como te va?»
J’essayais de toutes mes forces de ne pas décevoir ces braves gens du quartier. Moi aussi, je les saluais. J’étais heureuse de partager leur bienveillance… Par de belles soirées d’été, les voisins sortaient des chaises sur le trottoir pour s’y installer, boire un verre, bavarder, échanger quelques propos, communiquer. On faisait salon. Le trottoir devenait village. Parfois, je m’y attardais aussi.

Tout ce monde courait, s’agitait, rigolait au son du grincement des rails de l’inoubliable tram 2. Il était de couleur vert-bouteille, ses 2 wagons étaient petits et étroits, avec des plateformes à l’air libre au bout de chaque wagon. Les sièges y étaient en lattes de bois. Ils étaient durs, très durs. Ce tram vert tel un serpent se faufilait dans les Rues Basses, direction les rues des 2 Ponts et du Stand jusqu’aux aiguillages du Rond Point de la Jonction. Ces derniers lui permettaient de tourner tant bien que mal vers la droite où se trouvait le dépôt afin de s’y «reposer». Au bout d’une longue journée de travail, il en avait bien besoin, l’ayant bien mérité. Son passage était accompagné d’un terrible vacarme ! En fait, je n’ai jamais su si ce vacarme était une plainte ou un cri de joie.. ?

Je me suis attachée au quartier. J’aimais beaucoup mon logement. Il me convenait parfaitement. L’Uni n’était pas loin et c’est ce qui comptait. J’étais très occupée. Je suivais des cours à l’ Ecole de Traduction et d’Interprétation. En plus, j’étais obligée de suivre des cours de français à «l’ Ecole de Français Moderne» qui se trouvait également dans le bâtiment des Bastions. J’avais accumulé 36h de cours par semaine! De ce fait je n’avais plus le temps de marcher normalement dans la rue, je faisais tout en courant. Le matin, je boutonnais ma veste en courant, je relisais mes notes en courant, j’avalais ma tartine en courant. Tous les matins je courais sur le trottoir du Bd St Georges le long du mur du cimetière de Plainpalais. Je ne me rendais même pas compte que de l’autre côté du mur reposaient Jean Calvin ainsi que la fille de Fédor Dostoiéwski, Sophie.

Parfois, je trouvais quelques minutes entre deux cours dans ce strict horaire que je m’étais imposée. Je prenais le temps de traverser, en courant, la rue de Candolle pour aller m’asseoir au tant regretté Café Landolt, à la table portant la signature de Lénine. J’y prenais un «Renversé», fort nourrissant, qui complétait mon petit déjeuner et qui faute de temps faisait office de déjeuner.
J’y rejoignais quelques amies et copines de classe de la Genève internationale.

Ma logeuse à la rue des 2 Ponts, Marie était ouvrière chez Rolex. Elle n’était pas très loin de la retraite. Malgré notre importante différence d’âge, nous devenions amies. Etant originaire de Zurich, un concours de circonstances l’amena en Romandie. Elle n’appréciait guère cette partie francophone de la Suisse. Elle avait des difficultés avec le français et puis elle disait que:
«Les Romands sont des glandeurs, n’étant jamais à l’ heure»…

Se sentant étrangère en terre romande, elle était ravie d’accueillir une étrangère qui parlait mieux l’allemand que le français. Pour manifester son amitié, chaque mois, elle baissait le prix du loyer de ma chambre, au lieu de l’augmenter. Parfois le matin, pour me réveiller, elle avait pris l’habitude de me passer une lavette d’eau froide sur le visage, ce qui me faisait rire.. me faisant penser que sa fille qui habitait à Zurich lui manquait terriblement. Je pensais aussi à ma mère à moi, qui était à Santiago du Chili. Cet échange matinal d’affection était émouvant, silencieux, voire  tacite.
Marie aimait beaucoup le cinéma, de préférence les films allemands. Or, chaque semaine au Ciné 17, rue de la Corraterie, on donnait des films allemands. Pour ne pas y aller seule, elle m’y invitait afin de partager sa passion. J’étais ravie! J’aimais aussi énormément le cinéma, en plus c’était ma seule distraction du moment n’ayant pas le temps, pas beaucoup d’argent ni d’amis…Les autres soirées de la semaine, je les passais en compagnie de mes livres et de mes cahiers.

Par la suite, le progrès aidant, les choses vont quelque peu changer :
– Ramuz a remplacé Cervantes ; les pays Hispanophones sont tombés dans l’oubli
– Mon immeuble n’est plus le dernier de la ville, on en a construit à côté et au-delà du pont de l’Arve.
– Le tram 2 a changé de couleur. Il continue à se faufiler dans les Rues Basses mais il ne grince plus. Il est devenu plus sage, plus discret et plus silencieux. Sa silhouette est plus aérodynamique. Les plateformes à ciel ouvert, au bout du wagon, ont disparu.
– Le ciné 17 est toujours à la Corraterie, sauf qu’il n’est plus ce petit cinéma de quartier qui ne passe que des films allemands d’avant et d’après guerre.. Ce ciné a maintenant pignon sur rue ! Pour y accéder, il faut réserver sa place à l’avance. Tout l’intérieur a été refait. Les anciens fauteuils gris, enfoncés par endroits, sont devenus des « couchettes » avec des accoudoirs destinés à recevoir des grands verres de «long drinks » à la mode américaine. L’avantage des ces sièges, préparés pour le repos, consiste à pouvoir s’y assoupir, si le film n’est pas trop violent qui vous tient en éveille malgré la fatigue accumulée pendant toute la journée de travail.
– Les Centres Commerciaux, les Super Marchés et autres Maxi Bazars éclairés au néon, ont remplacé les petits commerces ainsi que les épiceries avec l’épicier, personnage tant connu du quartier, fort au courant de ce qui se passait dans chaque famille. Il savait que votre mari est un chômeur professionnel, que votre fils courtise la femme du dentiste et que vous partez chaque année en vacances aux Baléares où s’est installée votre belle-mère profitant de sa retraite méritée ou pas.

Non, en fait, tout n’a pas changé:
РVotre fils sort toujours avec la femme du dentiste et vous partez encore et toujours aux Bal̩ares.

Ce qui a changé c’est que tout cela n’intéresse plus personne, notamment votre épicier qui entre-temps est devenu «Manager ou Gérant» du Super Marché du coin, pardon, pas du Super Marché, du Super Market, c’est plus «chic»!!!
– Les berges de l’Arve sont éclairées et bétonnées, les pierres sont remplacées par des bancs en bois, chiens et chats s’y promènent en laisse tenus par leur maîtres et maîtresses qui, en voisins, à la tombée de la nuit, rasent les murs de leurs immeubles en peignoirs et bigoudis, les poches remplies de Sanisette en plastique (si vous ne savez pas ce que cela veut dire, cliquez sur Google qui va tout vous expliquer. Olga

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