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Jeunesse en errance aux Eaux-Vives

Jeunesse en errance aux Eaux-Vives

Ils sont là, avachis devant une grande enseigne de restauration rapide, avec leurs chiens. Ils ? Ceux que des sociologues contemporains se plaisent à appeler les « jeunes en errance ». De jeunes gens, à peine sortis de l’adolescence et de ses turpitudes pulsionnelles, qui errent de ville en ville, traversant les grands festivals qui s’étirent le long de la période estivale, un peu partout en Europe. Souvent, ils sont accolés à un mur, demandant quelques pièces, les yeux dans le vague, leurs chiens étalés sur le trottoir.

Ce matin-là, sous une bruine automnale, je fais la connaissance de Julien, la petite vingtaine, qui fait la manche « pour se payer à déjeuner », à côté d’un kiosque des Eaux-Vives. Les cheveux hirsutes, les ongles noircis par les cigarettes qu’il semble rouler avec une certaine habitude non dénuée d’agilité, et la dentition en piteuse état – signe d’un laisser-aller inquiétant -, il m’aborde d’une voix monocorde, son Hercule de chien au bout d’un semblant de laisse: « On est obligé, sinon les flics ils nous emmerdent ! »

Belgique, Pologne, Roumanie…

Souhaitant faire sa connaissance sans être trop frontale, je le questionne sur son chien et je découvre un jeune homme presque maternel, tout préoccupé qu’il semble être pour la santé de ce dernier. Je comprends aussi rapidement que Julien n’est pas un novice de la route et qu’il a « roulé sa bosse » sur divers sentiers en Europe – Belgique, Pologne, Roumanie pour n’en citer que quelques-uns. Tantôt en solitaire, tantôt avec des compagnons d’infortune.

L’interpellant sur sa famille, ses parents, Julien – qui ne semble pas surpris plus que cela – m’explique en deux mots qu’il y a eu « un clash » et puis « je n’ai pas vu mon père depuis dix ans (…) ma mère ? Je lui donne des nouvelles parfois pour pas qu’elle s’inquiète parce que les mères, ça s’inquiète toujours ». Je dis alors tout haut qu’il doit être particulièrement difficile de mener cette existence par moment et demande alors comment il s’y prend. Après un rapide coup d’œil à ses avant-bras, Julien me répond qu’il est tombé dans la drogue « pour tenir ». Lui disant que je pense qu’il doit être très dur, voire impossible, de décrocher, Julien acquiesce. C’est alors qu’il me raconte travailler deux jours par semaine au « Quai 9 », juste derrière la gare, et qu’il tente par ce biais de faire quelque chose de ses journées. Un demi-sourire se dessine alors sur son visage juvénile et il en émane même une certaine fierté.

« Ce garçon me touche »

Cela fait dix minutes que l’on se parle, et ce garçon me touche. Nous ne partageons pas le même espace ni la même temporalité, il erre en effet à la recherche d’un Paradis sûrement perdu à jamais, mais, à ce moment-là, une vraie rencontre a pu avoir lieu – clichés à l’appui il est vrai mais comment pourrait-il en être autrement ? Je m’éloigne, lui laissant son bout de trottoir, terre d’asile éphémère, quelques pièces en plus dans son obole. Me retournant après quelques pas, il semble déjà avoir replongé dans sa « rêverie » quotidienne et illusoire mais… comment pourrait-il en être autrement quand son existence se révèle morcelée à ce point

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Photo du profil de Emilie Snakkers
Parallèlement à des études en anthropologie clinique, j'ai toujours apprécié écrire et décrire mes expériences à l'aide des mots. Lectrice assidue d'un peu près tout ce qui me tombe sous la main, j'aime aussi rencontrer les gens et apprendre à travers ce qu'ils me racontent de leur vie. Actuellement psychologue à l'hôpital, je prends le temps de voyager et de me faire une culture cinématographique éclectique!

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