Les journées européennes des métiers d’art devaient se dérouler à Genève du 3 au 5 avril. Nous aurions dû visiter des ateliers particuliers ou les centres de création du Grand-Théâtre.
Dans mon immeuble de l’Ecoquartier où vivent plein d’artistes (comédiens, peintres, musiciens, scénaristes, réalisatrices, designers, et autres) qui enchantent notre confinement, il y a aussi deux artisans, rappels du passé de la Jonction. Comment différencier artistes et artisans ? Difficile de trancher ! « j’exerce un métier d’art » devraient-ils plutôt dire.
Levan Sikharulidze est graveur en horlogerie. Un métier traditionnellement genevois, puisque Jean-Jacques Rousseau avait commencé un apprentissage en 1725, à l’âge de 13 ans (voir la plaque commémorative rue des Etuves). Après un essai abhorré dans une greffe du tribunal, le métier de graveur « ne lui déplaisait pas, ayant un goût vif pour le dessin », mais son maître d’apprentissage le traitait si brutalement qu’il prit la fuite de Genève un an plus tard.
L’apprentissage de graveur en horlogerie n’existe plus, mais le métier se pratique cependant, et à domicile, idéal en ce temps de confinement ! Levan Sikharulidze est venu de Géorgie, par amour, avec un diplôme universitaire d’histoire de l’art, précédé d’un collège artistique où il avait appris la mosaïque, la céramique et le dessin académique. Surtout, il avait beaucoup dessiné durant toute son enfance et pratiqué la sculpture sur bois avec son père.
A Genève, arrivé comme musicien (contrebasse, chant et guitare), il a découvert ce métier et l’a appris, sur le tas, avec Heinz Pichler, qui avait un atelier en vieille ville. Levan, lui, préfère travailler en indépendant et reçoit des commandes de grandes marques d’horlogerie. Son établi n’occupe qu’un mètre carré d’une chambre, ses instruments sont des burins qu’il a taillés lui-même et un microscope binoculaire qui agrandit à l’échelle de 140. Les pièces sont placées sur un boulet rotatif qui aide à guider le burin. En taille douce, il trace décorations et lettres pour les cadrans des montres, mais ce qu’il préfère, c’est la sculpture microscopique où il peut aussi laisser libre cours à sa créativité. Ainsi il a confectionné des fourmis grandeur nature ou des figures mésopotamiennes. Il livre ses pièces gravées et ne voit pas les montres finies, d’un prix fabuleux, auxquelles il ajoute encore de la valeur. D’ailleurs tout son travail est quasi invisible, caché à l’intérieur des montres… Mais Levan aime ce travail très absorbant, qui l’isole du monde extérieur, lui permettant de méditer et de pousser toujours plus loin ses exigences perfectionnistes.
Mon autre voisin, le joailler Georges Lambert, travaille plutôt dans son atelier-magasin de la Place du Perron, appelé « Sous les pavés », avec sa collègue Marta Sanchez (voir Signé Genève du 25 mars), mais il habite proche de lieux symboliques de son activité et symboliques de la Jonction : tout près de l’Usine, qui entre 1870 et 1970 fut l’Usine genevoise de dégrossissage d’or, et en face du Palladium. C’est lui qui m’a appris que le palladium est le métal le plus cher du monde, un composant du platine, alors que ce mot n’évoquait pour moi que danse et grandes réunions. Il travaille à la confection ultra fine et habile de bijoux exceptionnels, à des prix inimaginables, mais il s’éfforce aussi de fournir des pièces accessibles à la classe moyenne, comme ces boucles d’oreilles en grenats et tourmalines, enchâssées dans de l’or. De l’or éthique, contrôlé par Max Havelaar, ou recyclé.
Plus d’infos : Levan Sikharulidze, tel 076 482 11 69
Georges Lambert www.souslespaves.ch
