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Au revoir Monmon !

Au revoir Monmon !

La dernière fois que j’ai aperçu Monmon, c’était dans le bus V quittant Genève pour Versoix. Il ronchonnait à voix basse des « fait chier ! » à répétition. Cette litanie régulière sonnait comme une musique de fond dans le bus silencieux et impersonnel, arrachant des sourires aux passagers du bus, qui daignèrent lever les yeux de leur téléphone portable. La chansonnette vulgaire ne plut toutefois pas au chauffeur, qui arrêta son véhicule en plein trajet. « Vous avez un problème Monsieur ? a-t-il sermonné. Si vous continuez, je vous fais descendre du bus ! » Et de retourner à sa place sans se laisser attendrir par la mine penaude de son interlocuteur. J’avais envie de répondre : « Mais enfin, c’est Monmon ! », avant de me rappeler que la renommée de cette figure emblématique de Versoix ne s’étendait pas dans tout le canton. Edmond Vallet, dit Monmon, faisait partie de ces personnages si caractéristiques de notre commune, qui lui donnaient encore un air de village. Son décès, survenu le 11 février dernier, donne un nouveau coup de canif dans l’image du Versoix d’antan. Retour un mois plus tard sur la vie de cet enfant de Versoix connu de tous.

Sous l’aile des Versoisiens

Edmond Alphonse nait le 12 décembre 1939 à Versoix. Son nom de famille même est un mystère : alors que l’orthographe sur les avis officiels est « Vallet », il semblerait que les membres restants de sa famille se nomment « Valette ». Ses parents, Anna et Adolphe, pêcheurs, habitent la Rampe de la Gare, puis déménagent sur la Place du Bourg. Le petit Edmond commence à aller à l’école comme tous enfants de son âge. Son intégration n’est pas des plus faciles, et il subit les brimades de ses camarades. Après quelques années, il devient évident que cette structure ne lui est pas adaptée. Il est alors envoyé dans une école plus spécialisée de l’autre côté du lac, où il ne reste que brièvement, car la distance ne convient pas à la famille. Il rentre auprès de ses parents, qu’il aide dans leur travail.

A la mort de ceux-ci, Monmon retourne vivre à la Rampe de la Gare et est pris successivement sous l’aile de plusieurs tuteurs. On compte parmi eux M. Mulheim, propriétaire de l´ancienne laiterie-épicerie du même nom, qui confie à son protégé des petits travaux, comme la quête du pain. A cette époque, Edmond commence ses excursions en ville. Pour économiser le coût du trajet de train, il fait régulièrement de l’auto-stop pour rentrer à Versoix. Cette habitude, ainsi que son refus catégorique de monter dans la voiture des femmes, participe à la création de sa renommée. Une mauvaise expérience le fait cependant  renoncer à ce mode de déplacement, et il commence à utiliser le bus, où il se fait connaître des pendulaires.

Les clients de l’UBS sont également accoutumés à sa présence. Rôdant autour du distributeur à billets pour quémander quelques sous, Monmon fait plus sourire qu’il n’effraie. « Une cliente a raconté qu’au contraire, avoir Monmon dans les parages la sécurisait », relatent Nathalie et Pascale, propriétaires de Floréal. Edmond retrouve les deux fleuristes tous les samedis pour déguster café et croissants, et des livraisons lui sont confiées. A l’instar de ces Versoisiennes, de nombreux habitants de la commune accueillent tour à tour Monmon, lui offrant le café ou lui confiant de petites tâches.

La « retraite » de la Corolle

De 2003 à 2008, Edmond fréquente à mi-temps la Corolle, institution accueillant des personnes avec un handicap mental. Il participe à l’entretien du jardin et à la mise sous pli. La qualité de son travail est appréciée, ainsi que l’ambiance qu’il instaure avec son humour et son franc-parler. Alors qu’en janvier 2008 il reçoit un livre photo pour son anniversaire, il le prend pour un cadeau d’adieu, et décide de ne plus revenir. Quand on tente de le motiver à continuer ses visites à la Corolle, il rétorque qu’il est trop vieux pour travailler, et qu’il n’a pas le temps de s’ennuyer. Il estime  avec un sourire qu’il mérite sa « retraite », comme il l’appelle.

Edmond vieillit à Versoix. Quand il commence à montrer des signes de déclin, les autorités sont alertées et on envisage de lui trouver une place à l’EMS de Saint-Loup. C’est sans compter le caractère trempé de Monmon, qui refuse d’y mettre les pieds. Il reçoit alors quotidiennement la visite d’infirmières à son domicile, ainsi que des aides familiales. Sans famille restante, Monmon passera les trois derniers mois de sa vie à l’EMS Nouveau Kermont à Chambésy.

Le décès de Monmon résonne à l’oreille de tous, des jeunes comme des plus anciens. Tous les Versoisiens ont une anecdote à raconter, de la discussion sur le chemin de la Gare à la tâche qu’Edmond s’était assigné de faire la circulation au milieu de la Route de Suisse. Mais s’il y a bien un point où tout le monde s’accorde, c’était la sensibilité et la gentillesse, sous un caractère bien trempé, de ce personnage si particulier. La Rampe de la Gare semble bien vide à présent.

 

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Photo du profil de Anouk Pernet
Avec une carrière de journaliste dans ses projets futurs, la benjamine des reporters de quartier fait ses premiers pas de reporter chez elle, à Versoix. La mission de cette étudiante en sociologie : tisser des liens avec ses voisins, relayer l’information de sa commune en ciblant particulièrement les plus jeunes «qui ne se connaissent pas forcément, au contraire des générations précédentes. »

3 commentaires

  1. Je me joins aux compliments, et y ajoute un bravo ému. J’ai connu Monmon chez qui, dans son logement à côté de l’UBS, j’ai souvent fait de petites réparations. A la retraite, je m’étais mis à disposition de la Commune (avec l’appui de Mme feu Christiane Bernath) et de l’antenne versoisienne de l’IMAD pour venir en aide aux personnes ne pouvant plus sortir facilement de chez elles, et venir réparer ce qui tombait en panne dans leur appartement. Monmon avait déjà besoin d’une assistance quotidienne, domestique et infirmière.
    Au revoir Monmon, un personnage attachant dans ton genre.
    J.-F. Sauter
    42, rte d’Oulteret
    1260 Nyon

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  2. Merci Anouk, d’avoir ramené quelques instants cette personne de mon enfance, voisine et qui m’effrayait un peu, mais qu’en grandissant j’aimais bien rencontrer et saluer. Oui, il était un exemple de ce que peut être un « village » et l’acceptation de ses citoyens différents et pacifiques. Il était bon de le rappeler !

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  3. Félicitations pour ce joli article plein de sensibilité, presque tendre. C’est le seul que j’aie pu lire, où l’auteur ne tente pas de se faire passer pour un fin connaisseur du personnage (et que son texte trahit malgré lui ensutie).
    Ici, rien que des faits, bruts et décrits très sobrement, avec toutefois un respect délicat à sa mémoire. J’ai même retenu une « buée oculaire intempestive » en achevant la lecture du dernier paragraphe.
    Un tout grand bravo !

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