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Jo Fontaine ou la pierre consentante

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© Huguette Junod

 

Aller à l’atelier de Jo Fontaine, à Soral, c’est changer d’univers. 

Jo Fontaine représente la 13e génération d’une famille de paysans de Soral. « Je suis de la terre, j’aurais dû devenir paysan, mais la vie en a décidé autrement… » A l’adolescence, il était perdu, comme s’il n’avait plus de racines, ne savait pas vers quel métier se tourner. On l’a convaincu d’apprendre la mécanique, ce qui ne lui plaisait pas, mais dans la famille, on terminait ce qu’on avait entrepris, et il est allé jusqu’au bout. Une scène l’a marqué, pour ne pas dire traumatisé : avec sa classe, il visitait une usine où l’on fabriquait des pièces. Un contremaître était planté derrière un ouvrier, un chronomètre à la main. Jo lui a demandé ce qu’il faisait. L’ouvrier était censé améliorer le temps qu’il mettait à fabriquer chaque pièce. « Vous devriez utiliser un fouet, ça irait plus vite ! » a suggéré Jo, qui s’est fait mettre à la porte. 

 

Après sa formation, il ne savait toujours pas comment il allait gagner sa vie. Il a accompagné une copine aux Beaux-Arts, et ce fut une bombe qui a éclaté dans sa tête. Il y avait des modèles, on pouvait dessiner, modeler… C’est le modelage qui l’a tout de suite attiré, il retrouvait le contact avec la terre. Mais il n’avait pas de maturité. On lui a proposé de présenter un travail sur un artiste, il a choisi Rodin. Puis il a soumis des modelages. 

Il a passé quatre ans magnifiques, à apprendre, entouré de copains et copines jusqu’en 1976. Après quoi il s’est retrouvé seul et sans but. Il a loué un appartement à la rue Rousseau, dont il a lu les œuvres. Des amis l’ont aidé à retaper l’appartement. À peine était-il fini qu’il y eut un incendie et tout fut détruit. Jo se retrouvait à la rue.

 

Sur un terrain de Soral il y avait une buanderie qui avait servi à son grand-père. Elle devint la cuisine de sa future maison, construite pièce après pièce avec des éléments de récupération : plancher de sa classe d’école, poutres du palais Wilson, p. ex. et des pierres ramassées dans les champs qui lui servaient à ériger des murs. La chambre de son fils, il la d’abord dessinée sur le sol. 

 

Derrière le portail sont superposées deux énormes roches qui protègent la maison de la rue et de ses passants. Des sculptures sont disséminées jusqu’à l’atelier et autour du tumulus qu’il s’est construit pour y méditer. On pénètre dans son atelier, derrière des baies vitrées. Aux murs sont suspendues des œuvres, sur des tréteaux repose la pièce qu’il est en train de travailler. Depuis quelques années, il s’est attaché les services d’un aide, qui lui prépare les pièces. L’atelier est couvert de poussière de pierre. Il utilise surtout la serpentine, depuis qu’il l’a découverte. Elle permet une grande variété de teintes, selon les manières de la tailler ou de la polir. Jo Fontaine façonne des pièces relativement petites, comme celles qui sont régulièrement exposées à la galerie Marianne Brand, à Carouge, qu’on peut placer sur un meuble. Mais surtout des œuvres gigantesques. « Je pense espace. Quand je dresse des colonnes, je construis une habitation, où l’on peut pénétrer. » Il a quitté le figuratif pour le symbolique, le spirituel. Ses maîtres sont Giacometti, Brancusi. 

 

S’il se présente à un concours, il produit une maquette où ses immenses colonnes ne mesurent qu’une dizaine de centimètres. Mais s’il gagne, il doit ensuite trouver la carrière où l’on pourra prélever les pierres dont il a besoin, ce qui peut prendre plusieurs mois. Sans parler du transport de morceaux qui pèsent plusieurs tonnes, de la taille… On dirait que rien n’arrête Jo Fontaine, qu’il est dans une recherche de l’infini. Il se dit profondément mystique. D’ailleurs, il « parle » aux pierres, il leur demande si elles acceptent d’être travaillées par lui. Il lui arrive de ne plus pouvoir avancer, et soudain, il vit une « fulgurance » qui l’aide à créer. 

On trouve ses œuvres dans divers lieux genevois : « Miroir du ciel » à Meyrin, « Jardin du souvenir » au cimetière Saint-Georges, la stèle de Grisélidis Réal au cimetière des Rois…

 

Lors de sa double exposition « Raisonnance… Résonance » à la galerie Brand et à l’espace Borabora, qui se tint du 31 octobre au 20 novembre 2020 dans le cadre d’Artcarouge, j’ai été fascinée par ses œuvres en relation avec l’eau, comme ce bloc de serpentine, travaillé dans la masse, fait de stries et de parties polies qui jouent avec la lumière, le plateau qui reçoit l’eau. Ou les blocs polis dont la surface est couverte d’une fine pellicule d’eau. On s’y abreuverait sans fin. 

 

Il a été choisi pour l’exposition IMMERSIONS, organisée par Pro Natura et les SIG, qui se tiendra sur le site de Vessy du 19 mars au 31 octobre 2021. On lui a donné toute liberté. Une dizaine d’œuvres seront présentées à l’extérieur, mais une sera à l’intérieur. Il s’agira d’une pierre-réceptacle au-dessus de laquelle il installera un goutte-à-goutte qui libérera une perle d’eau toutes les sept secondes. Pour lui, il est essentiel de travailler avec la nature. 

 

Jo Fontaine fera des visites guidées les 8 et 15 mai, le 5 juin et le 4 septembre, l’exposition sera gratuite. 

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Huguette Junod s’intéresse très tôt à l’écriture. À douze ans, elle gagne un concours radiophonique pour adultes ; dès l’âge de treize ans, elle publie des contes puis des articles dans différents journaux. Pendant 33 ans, elle est professeure de français à l’école secondaire genevoise, où elle fait connaître la littérature romande. Parallèlement, elle anime des ateliers d’écriture et organise des manifestations culturelles. En 1987, elle fonde les Editions des Sables. Elle a touché à tous les domaines : le journalisme, la chanson, le théâtre, la publicité, la poésie, le récit, la fiction, l’essai, et publié une vingtaine d’ouvrages. Huguette Junod a obtenu le Prix des Écrivains genevois en 1986 pour le récit Ceci n’est pas un livre et en 2008 pour le poème Le Choix de Médée. Depuis janvier 2013, elle écrit chaque semaine une chronique féministe dans « Gauchebdo ».

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