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Au volant de la ligne X, entre père et fils

Photo ©Mathias Deshusses
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Photo ©Mathias Deshusses

D’une manière trop générale, plongés dans leur univers stressant, les gens qui montent dans un bus oublient qu’il y a quelqu’un derrière le volant. Au quotidien, rares sont les « bonjours » ou les « Merci », et l’on ose à peine essayer de compter les sourires.

Pourtant, sur la ligne X, qui dessert – entre autres – les petits villages de Dardagny et Russin, avec un terminus à la gare de La Plaine, la situation est tout autre. Les conducteurs s’appellent Joseph et Frédéric, ils sont père et fils, et la grande majorité des usagers les connaissent bien, les appelant même par leurs prénoms. Mais c’est loin d’être la seule particularité de cette petite ligne peu connue du grand public.

Sur la X, le service est assuré par Globe Limo SA, une entreprise de transport genevoise qui assure la sous-traitance de certaines lignes de bus, qui ne sont pas assez intéressantes en termes d’exploitation. Après vingt-cinq ans comme chauffeur routier, Joseph a donc commencé à y travailler en mars 2010, suivi quelques mois plus tard par Frédéric, son fils, également chauffeur professionnel. Et lorsque que, à l’étape de décembre de cette même année, la société a cherché deux volontaires pour conduire sur cette ligne, le père et le fils ont levé la main en chÅ“ur.

Il s’agit d’une ligne de campagne, qui circule de Chancy à Russin selon des horaires restreints, avec comme point central la petite gare CFF de La Plaine, dont le RER peut vous emmener au centre-ville de Genève en une vingtaine de minutes. Une grosse partie des usagers est donc composée de pendulaires qui l’empruntent pour se rendre à leur travail, ou en rentrer. De ce fait, les journées sont coupées et les horaires allongés. « La, par exemple, j’ai commencé mon service à 5h38, et je le termine ce soir à 18h28 », m’explique Frédéric. « J’ai deux coupures dans la journée, une de trois heures, et l’autre de deux heures ». Et ce n’est pas usant, à la longue ? « Il ne faut pas oublier qu’on s’est portés volontaires », me glisse le trentenaire avec un sourire. « Ici, les gens nous connaissent et discutent plus facilement. Cette ligne, on l’a choisie. Et on l’aime ! »

Et c’est vrai qu’elle est attachante. Malgré des routes étroites et quelques passages difficiles, comme le pont CFF de La Plaine ou les lacets de la montée de Russin, la ligne X vous emmène à travers les champs en fleurs et les vignes de la campagne g’nevoise. Pourtant, elle a une autre particularité : celle de servir de transport scolaire. Cela reste un « service de ligne », comme on dit dans le jargon, soit un véhicule de transport public pouvant être emprunté par chacun. Mais sur certains trajets, et à certaines heures, ce « petit » bus est utilisé par les enfants pour se rendre à l’école. Car les élèves des communes de Dardagny et de Russin se répartissent sur trois écoles : les petits (1P et 2P) vont à Russin, les moyens (3P et 4P) descendent à La Plaine quand les grands (5P à 8P) montent à Dardagny. Tout ce petit monde doit donc se croiser dans un joyeux va-et-vient et le bus vient apporter une belle solution pour transiter entre des sites éloignés de quelques kilomètres à peine, mais dont la différence de dénivelé est importante.

« Quand on est arrivé fin 2010, c’était un peu le bronx, les enfants faisaient ce qu’ils voulaient », souligne Joseph. Du haut de ses 61 ans, l’homme impose un certain respect, et ne se laisse pas décontenancer facilement. « Il fallait encadrer les enfants, leur apprendre à bien se comporter. On ne se lève pas quand le bus est en mouvement, par exemple. Bien sûr, ce n’est pas évident quand les plus jeunes ont tout juste cinq ans. Le maire de Dardagny, Pierre Duchêne, nous a énormément aidé à rétablir la situation. On peut aussi compter sur l’appui des maîtresses, de l’Association de Parents d’Elèves et de l’équipe du parascolaire. Une sensibilisation est faite à chaque rentrée de septembre, et une charte est remise aux parents. Alors à présent, ça roule ! » Jolie métaphore. Effectivement – et personnellement en tant que parent d’élève d’enfants scolarisés sur ces communes – je ne peux que constater que ce système fonctionne assez bien. Mais c’est avant tout grâce au professionnalisme de ces deux conducteurs hors-pair. Sur ces trajets qui leur demandent une attention toute particulière lors des phases de conduite, ils n’arrêtent en effet pas systématiquement leur véhicule sur les zébras, et ne laissent sortir les enfants que par la première porte, sous leur Å“il bienveillant. « Le but est de positionner la porte avant le plus près possible de l’entrée de l’école, afin que les enfants aient le moins de trajet possible pour rejoindre la cour », poursuit Frédéric. « Parfois, on doit rappeler aux enfants qu’il ne faut pas qu’ils trainent entre la sortie du bus et le préau. On attend toujours qu’ils soient tous rentrés avant de redémarrer », précise Joseph. Car s’ils peuvent compter sur l’aide précieuse de l’équipe du GIAP (Groupement Intercommunal pour l’Animation Parascolaire), qui utilise ce système pour emmener les élèves aux cuisines scolaires le midi ainsi qu’aux activités parascolaires le soir – et qui sait canaliser la joyeuse troupe – nombreux sont les trajets ou les deux hommes sont livrés à eux-mêmes. Et amenés à aller au-delà de leur simple rôle de conducteur. « Ah, c’est sûr, on connait tous les enfants par leurs prénoms. On sait où ils montent, et où ils descendent. Et si un enfant n’a pas ses parents qui l’attendent à l’arrêt, je le garde avec moi jusqu’à ce qu’ils le récupèrent. Je ne vais pas laisser un môme tout seul comme ça, quand même ! » s’emporte généreusement Joseph. « Et là, c’est le papa qui parle, ce n’est pas le conducteur. En tant que père de famille, cela me semble normal ! »

Normal, également, d’attendre que tous les enfants soient sortis de l’école de Russin avant de repartir. Et en hiver, cela peut représenter de longues minutes avant que les petits n’arrivent, emmitouflés dans leurs vêtements chauds, et qu’ils devront parfois rattraper sur leur temps de pause. Clairement, ce qu’ils font au quotidien dépasse le cahier des charges d’un simple conducteur. « Les parents attendent beaucoup de nous », continue Joseph. « Parfois, peut-être trop. Nous, on fait le maximum pour la sécurité des enfants, mais c’est vrai qu’on redoute un peu qu’il y ait un vrai problème un jour, et qu’on nous tienne pour responsables ». Frédéric m’explique que l’an dernier, de janvier à juin, ils ont pu avoir un accompagnateur sur ces trajets officieusement scolaires. « C’était à l’initiative de Globe, et ça nous a vraiment soulagé. » Malheureusement, une personne supplémentaire a un coût, et personne ne semble décidé à l’assumer. En attendant, cette ligne au charme particulier continue d’arpenter la région, avec comme capitaines deux hommes au sourire franc et à la générosité sans limite.

Les habitants de la Champagne et du Mandement ne le mesurent peut-être pas forcément, mais ils ont vraiment des conducteurs en or sur « leur » ligne X.

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