Encore une de ces anciennes arcades incroyables – et rares à Genève – où l’on peut trouver toutes sortes d’articles chorégraphiques, vêtements, chaussons et chaussures de danse, patinage, gym, du sol au plafond… et ce n’est pas peu dire (faites défiler les photos ci-dessus et vous le constaterez). Cependant elle va bientôt disparaître…
En effet, située dans la prestigieuse lignée d’anciens immeubles de la Corraterie, entre une bijouterie et un magasin de sport renommé, cette petite boutique vous donne de la bonne humeur rien qu’en passant devant. Joliment garnie de tutus et décorée d’articles de danse, c’est un plaisir de franchir le seuil. Une fois entrés dans ce magasin, vous y êtes accueillis chaleureusement, en général par Brygitte, la propriétaire, ou sa fille Jessica, qui sauront vous dispenser des conseils avertis et excellents sur tout ce qui concerne chaussons de danse, justaucorps, pantalons de Pilates ou yoga, chaussures de tango, salsa et bien d’autres.
Cette boutique a été ouverte en 1949, par la maman de Brygitte, Simone. Cette dernière avait en effet repris à cette époque ce petit commerce qui vendait principalement des bas nylons et bas de soie à couture : elle y a peu à peu rajouté des vêtements de danse, notamment parce que ses deux filles pratiquaient le ballet. De plus, avec le Grand Théâtre à proximité, les petits « rats de l’Opéra » avaient aussi besoin de s’équiper en tenues, jupettes, demi-pointes, pointes, et autres accessoires spécifiques. Ce dernier établissement, qui contribue grandement au rayonnement culturel de Genève, a d’ailleurs été l’un des meilleurs clients durant plus d’une vingtaine d’années.
Pour la petite histoire, Simone faisait les trajets plusieurs fois par jour depuis la ville jusqu’à la Pointe à la Bise où la famille habitait à ce moment-là. Elle rentrait en effet à midi pour préparer le repas, et redescendait à la Corraterie, d’abord jusqu’à Rive avec le tram N°9. Il n’était pas rare que le wattman, habitué de la voir tous les jours aux mêmes heures, l’attende lorsqu’elle avait un peu de retard afin qu’elle ne manque pas la correspondance… Autre époque, où les transports publics n’étaient pas rythmés par des horaires rigoureux.
Par trois fois, la boutique a été transformée, l’agencement repensé : le papa de Brygitte, « bricoleur de génie » comme le surnommait son épouse, a souvent rajouté des étagères, monté des éléments, afin d’exploiter le mieux possible la surface assez restreinte de la petite boutique.
Le magasin avait beaucoup de succès, notamment grâce à la qualité de sa marchandise (fournisseurs : Repetto puis la maison Vicaire à Paris) et également à cause de son emplacement. La clientèle y abondait, tant et si bien qu’il a fallu un temps engager trois vendeuses pour répondre à la demande. Brygitte est naturellement venue donner un coup de main à sa mère, elle était alors âgée de seize ans : elle n’est jamais repartie !
Faisant preuve d’une légendaire générosité, Brygitte a aussi contribué à plusieurs actions humanitaires et de solidarité en faisant dons de vêtements pour de bonnes causes ; dès le début du conflit en ex-Yougoslavie en 1998, elle a offert nombre de collants chauds pour des nécessiteux, a même participé aux chargements nocturnes d’habits et de marchandises dans des camions qui partaient de la Suisse pour ce pays en guerre. Des vêtements chauds ont aussi été donnés pour la Russie, puis pour le Nicaragua, à un home qui accueillait des mamans en grande précarité avec leurs bébés.
Pourtant, comme j’en parlais plus haut, aujourd’hui la boutique Elcé va devoir cesser ses activités. Le bail sera résilié courant 2022. Comme beaucoup de petits commerces, les multiples contraintes générées par les ouvertures et fermetures successives dues à la situation sanitaire, leur survie ne tient qu’à un fil. Même si la société propriétaire de l’immeuble a pris des mesures pour soulager les divers magasins de leurs loyers commerciaux.
Il va donc falloir prévoir une liquidation de toute la marchandise, y compris tout l’agencement du magasin. De gros soucis en perspective, même si Brygitte va peut-être pouvoir – enfin – prendre une retraite bien méritée. Si des personnes sont intéressées par le stock, ou par du matériel, c’est le moment où jamais. Renseignements au 022 329 95 65.
Avec toutes les boutiques et commerces qui ont fait faillite à cause de la crise sanitaire, les enseignes qui ont leurs stores tirés depuis des mois, on verrait bien à leur place une nouvelle boutique spécialisée dans la vente d’articles de danse, classique, jazz, contemporaine, ou danse de salon. Pourquoi pas dans une des ruelles du Vieux Carouge : ce serait un endroit idéal, très prisé des chalands grâce à ses échoppes, ateliers créatifs, et ses petits bâtiments pittoresques.