
Au mois d’août, l’Atelier d’Animation fonctionnait à un rythme plus réduit : l’un des deux animateurs était en vacances, de même que quelques auxiliaires bénévoles. Cependant, tous les jeudi après-midi les patients de Beau-Séjour pouvaient assister à des concerts estivaux. Ces derniers avaient lieu la plupart du temps sur la petite place au centre du parc de l’hôpital, à l’ombre des grands marronniers. Nous étions bien sûr tributaires de la météo, en cas de pluie ou de temps incertain, la scène et le décor étaient montés à l’intérieur de la cafétéria publique. Mais il est vrai que très souvent, si le mois de juillet dénombrait davantage de journées pluvieuses, août se montrait beaucoup plus clément, voire même parfois caniculaire : Patricia, l’une des fidèles bénévoles, se rappellera certainement longtemps de ce patient enthousiaste, qui l’a invitée à danser avec lui un rock’n’roll endiablé… alors qu’il faisait 34 degrés !
Des affiches illustrées et bien explicites, avec la photo de l’orchestre ou des chanteurs invités, annonçaient la couleur une semaine avant la prestation : elles étaient apposées dans les ascenseurs, dans chaque unité de soins et sur des panneaux d’affichage, notamment dans le hall d’entrée. En outre, des flyers étaient déposés la veille sur les tables des salles à manger et dans toutes les loggias. Cela permettait aux patients de pouvoir s’organiser au préalable, négocier les horaires des séances avec les physiothérapeutes, souvent conciliants, ou planifier la venue de leurs visites et familles afin d’assister au spectacle en leur présence, en profitant de déguster avec elles des pâtisseries ou boissons rafraîchissantes.
Le programme de ces concerts était bien diversifié : l’Atelier proposait en effet de la variété internationale, de la musique folklorique suisse à la veille de la Fête nationale, un récital de ballades et d’anciens succès italiens, de l’orgue de barbarie pour faire revivre de vieilles chansons françaises, entre autres styles. Comme les musiciens et les chanteurs étaient devenus des habitués de Beau-Séjour, qu’une certaine complicité s’était installée entre nous, ils nous faisaient l’amitié de revenir souvent d’année en année, à la même époque. En cas d’empêchement, il y avait toujours un autre groupe ou orchestre qui pouvait venir les remplacer, parfois au pied levé.
Nous avons même eu l’occasion d’accueillir des « extras » en particulier lors des Fêtes de Genève, ou d’opportunités mises sur pied grâce à des relations ou des événements ponctuels, des aubaines que nous n’avons pas voulu laisser passer : une famille qui voulait faire une surprise à leur parent hospitalisé, un patient lui-même musicien ou artiste qui a sollicité ses amis pour venir offrir un spectacle improvisé, ou un anniversaire important que des visites tenaient à célébrer en musique. C’est ainsi que nous avons accueilli un jour la Fanfare Royale du Sultanat d’Oman, qui a permis aux patients, visites et employés de Beau-Séjour, de vivre une après-midi inoubliable. En effet, ce ne sont pas moins de 80 musiciens en uniformes, danseurs aux habits folkloriques très colorés, qui ont défilé et virevolté dans le parc : une performance inattendue qui a ravi plus de 120 spectateurs, dans la chaleur tropicale de ce beau mois d’été, à côté de la « Lune brisée » la fontaine réalisée par le sculpteur Manuel Torres.
L’Orchestre de la Suisse Romande (OSR), qui s’est produit quatre fois à Beau-Séjour, a même offert un de ses concerts du mois d’août aux personnes hospitalisées. Nous avons dû cependant organiser la prestation dans la grande salle de gymnastique, au vu du nombre important de musiciens – et de spectateurs – à installer. Le grand Armin Jordan en personne a dirigé l’orchestre à trois reprises, et pour cette production estivale, nous avons même eu le grand privilège d’accueillir en soliste Simion Stanciu Syrinx, virtuose roumain de la flûte de Pan bien connu, accompagné au même instrument par sa fille.
Les après-midi de concerts estivaux généraient donc une atmosphère festive dans le parc de Beau-Séjour et tout le monde pouvait en bénéficier : en plus des patients, leurs visites et des clients de la cafétéria publique, qui ont souvent chanté et même dansé parfois, des employés profitaient de leur pause pour venir siroter un jus de fruit, un café ou manger une glace, tout en écoutant les chansons et se laisser charmer par les sonorités instrumentales. Il régnait comme une ambiance de vacances sous les grands arbres, une impression de guinguette ou de bal musette, un climat détendu qui n’apaisait pas que les personnes hospitalisées. Certaines d’entre elles auraient voulu que la musique se prolonge en début de soirée, mais à ce moment-là, la routine institutionnelle reprenait le dessus : les plateaux-repas arrivaient dans les unités de soins, il y avait la prise des médicaments, des tensions, les glycémies, les équipes infirmières qui s’interchangeaient…
Suite à un concert, une patiente âgée qui venait souvent composer des poèmes à l’Atelier, a écrit :
La joie à Beau-Séjour
Une matinée réussie avec le soleil qui luit,
Et une belle promesse pour l’après-midi,
Pour nous donner de la joie et du bonheur,
Tout cela pour nous rendre meilleurs.
C’est presque Noël à Beau-Séjour,
De gauche à droite avec amour,
Les marronniers semblent parés de bougies,
Pour éclairer la verte prairie.
En cet après-midi promis en musique,
Avec un orchestre du sud de l’Amérique,
Synthétiseur, percussions et guitares,
Chansons et mélodies, il n’en était pas avare.
Les patients et leurs visites étaient contents,
Même une dame a dansé spontanément,
Suivie d’un grand-papa et d’une jeune fille,
Tous avaient le sourire, j’en étais ravie.
L’après-midi a passé en beauté,
Jean-Pierre, notre animateur, avec bonté,
A fait prolonger cette belle musique,
Pour nous tous, cela a été magnifique.
Henriette S.
Aujourd’hui, les mélodies ne retentissent plus dans les jardins de Beau-Séjour : depuis l’été 2014, les aubades et les ritournelles appartiennent malheureusement au passé, elles ont laissé la place au silence et au vide, si ce n’est le chant des oiseaux… et les bruits du trafic automobile au loin, entrecoupés de sirènes d’ambulances, qui montent de la ville par intermittences vers la colline de Champel. Il n’y a d’ailleurs même plus de meubles de terrasse qui garnissent la sympathique petite place centrale entourée de marronniers, puisqu’il n’y a plus personne pour les sortir de la cave et les entretenir…
*** Retrouvez tous mes articles « rétrospective sur les belles années de l’Atelier d’Animation » en cliquant sur le lien en dessous des images ***